« Il y a encore beaucoup à faire pour que le numérique soit accessible »


Lire un livre quand on est malvoyant, regarder un film quand on est malentendant, écrire un courriel quand on est paralysé… En situation de handicap, réaliser certaines activités de tous les jours relève parfois du défi. Car rien n’est vraiment adapté. Mais depuis quelques années les outils numériques permettent d’accompagner ceux qui en ont besoin. Des applications sur smartphone, des logiciels sur tablette ou ordinateur, l’émergence de l’intelligence artificielle permettent aujourd’hui de compenser le handicap et facilite la vie quotidienne et professionnelle.

Comment les personnes en situation de handicap s’emparent-elles du numérique ? Qui est concerné ? Est-ce facilement accessible ? C’est le sujet de ce deuxième épisode de la troisième saison de « Rebond, vivre avec le handicap », un podcast du Monde réalisé en partenariat avec l’Agefiph, à l’occasion de la Semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées (SEEPH).

Découvrez l’entretien d’Estelle Peyrard, responsable du club APF France Handicap, chercheuse associé au Centre de recherche en gestion, attaché à l’Institut interdisciplinaire de l’innovation à l’École polytechnique, et co-animatrice du réseau H2i – Handicap et Innovation Inclusive, réalisé pour le podcast « Rebond, vivre avec le handicap » (saison 3), un podcast du Monde réalisé en partenariat avec l’Agefiph, à l’occasion de la Semaine européenne pour l’emploi des personnes en situation de handicap (SEEPH).

Retrouvez ici le podcast « Rebond, vivre avec le handicap »

Avec l’arrivée du numérique, y a-t-il eu un avant et un après dans la vie des personnes en situation de handicap ?

L’arrivée du numérique a offert de nombreuses possibilités aux personnes en situation de handicap. Pour se figurer la chose, on peut penser à Stephen Hawking, célèbre physicien atteint de la maladie de Charcot, réussissant à s’exprimer devant un public grâce à sa synthèse vocale permise par le numérique. Mais il y a aussi toutes les aides qui permettent concrètement d’accéder au numérique, à un ordinateur, à une tablette, à un smartphone. Dans le domaine du handicap moteur, on peut penser à des choses très low tech comme « la licorne », une sorte de bâton qu’on accroche autour de la tête pour sélectionner des choses sur un écran tactile. Mais il y a aussi des outils beaucoup plus high tech, comme des commandes oculaires qui permettent à des personnes entièrement paralysées d’interagir avec un outil numérique grâce au mouvement des yeux.

L’arrivée de l’intelligence artificielle est-elle une révolution pour les personnes en situation de handicap ?

L’intelligence artificielle ouvre des perspectives énormes, même si nous sommes encore au stade du frémissement. Elle peut par exemple être utilisée avec des outils qui traduisent en langue des signes ou qui décomposent une macro-tâche en sous-tâches. Elle permet également la synthèse vocale en produisant des voix très proches de celle de l’humain. Mais la difficulté est le manque de données. Pour fonctionner, l’intelligence artificielle a besoin d’intégrer énormément de données. Or, dans le domaine du handicap, on est souvent dans le domaine de la spécificité, avec un petit nombre de cas. Il faudra donc qu’elle s’adapte.

Avez-vous le sentiment que les personnes en situation de handicap ont assez accès aux outils numériques aujourd’hui ?

En 2022, la Fédération des aveugles de France a montré que, sur 1 400 sites Web testés, seulement 15 % avaient fait une déclaration d’accessibilité et 7,5 % indiquaient leur niveau de conformité. C’est très peu, sachant qu’avoir fait une déclaration d’accessibilité ne veut pas dire que votre site est vraiment accessible. Il y a donc encore beaucoup à faire pour que le numérique soit accessible, malgré une loi qui est censée faire bouger les choses. Mais cela passe aussi par la formation des développeurs, des ingénieurs, des designers.

Quelles sont les limites des outils numériques pour les personnes en situation de handicap ?

Le temps d’apprentissage peut être un frein. Certaines personnes peuvent se demander si cela en vaut vraiment la peine, car il va falloir répéter, répéter, répéter encore la tâche, ce qui est laborieux. Ces temps d’entraînement peuvent générer de la frustration chez les personnes qui n’y arrivent pas. Le numérique peut aussi être anxiogène, notamment face à la dépendance qu’il crée. Cette dépendance peut avoir des conséquences : si une nouvelle version n’est plus compatible avec les aides techniques, si les fournisseurs ne font plus tel ou tel produit ou, pire, s’ils mettent la clé sous la porte, laissant les utilisateurs dépourvus. Enfin, comme ils sont produits en petites séries, les outils numériques coûtent souvent assez cher, beaucoup plus cher que des produits numériques lambda. Certaines aides existent, comme la prestation de compensation du handicap, mais elles sont souvent insuffisantes.

Pour proposer des outils numériques adaptés aux personnes en situation de handicap, il faut les imaginer. Vous pilotez le TechLab de l’APF France handicap, appelé « le hub de l’innovation technologique ». Comment travaillez-vous ?

Nos ateliers d’innovation font participer les personnes en situation de handicap à la conception de produits ou services innovants. Elles sont en lien avec les entreprises et testent le produit ou réfléchissent à de nouvelles solutions. Nous travaillons avec tous types d’entreprises : des start-up dans le domaine du handicap, comme les concepteurs d’exosquelette tels que My 3D ou Wandercraft, des créateurs d’applications numériques consacrées à la mobilité des personnes en situation de handicap, mais aussi de grandes entreprises qui ont compris la nécessité d’adapter leurs produits aux personnes en situation de handicap. Il y a quelques années, nous avons par exemple travaillé avec le groupe SEB qui avait conçu une gamme de petit électroménager avec un groupe de personnes en situation de handicap. C’était une gamme grand public facile à utiliser, avec des poignées plus larges, qui ne glissent pas, des boutons contrastés. Sans que cela fasse « handicapé » pour autant. Car les personnes en situation de handicap ne veulent pas forcément qu’on leur rappelle leur handicap.

La télécommande, les sous-titres, la synthèse vocale… beaucoup d’outils ont à la base été imaginés pour les personnes en situation de handicap et servent aujourd’hui à tous. Ces produits ont été extrêmement bien pensés, car un simple défaut de conception mettra en difficulté une personne porteuse de handicap, qui révélera donc immédiatement ce défaut. Mais il faut adapter les méthodes de travail. Collaborer avec une personne malentendante ou aveugle s’anticipe. Beaucoup de paramètres sont donc à prendre en considération, mais cela en vaut la peine.

« Rebond, vivre avec le handicap » est un podcast écrit et animé par Isabelle Hennebelle et Joséfa Lopez pour Le Monde. Mixage : Eyeshot. Identité graphique : Mélina Zerbib. Reportage : Marjolaine Koch. Partenariat : Sonia Jouneau, Victoire Bounine. Partenaire : Agefiph.

Le Monde



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